L’art de vivre – La joie de vivre
Celui qui est son propre roi jouit de se gouverner lui-même, et n’envie rien aux monarques de la terre.
~ Sir Thomas Brown
N’EST-IL pas étrange que nous, qui devrions pratiquer avec succès l’art de vivre, nous ne soyons pas même, au moins la plupart d’entre nous, des dilettantes dans cet art qui est cependant le premier des arts ?
Nous n’apprenons jamais à bien vivre. Nous devenons des spécialistes dans notre profession ou nos affaires, mais dans l’art de vivre, duquel dépend cependant notre bonheur ou notre malheur, nous ne devenons jamais experts.
Nous ne savons presque rien de l’organisme humain, qui renferme le secret de notre succès et de notre bonheur. Nous lui accordons beaucoup moins d’attention qu’au mécanisme de notre profession.
L’organisme humain est le seul médium par lequel l’âme et l’esprit communiquent avec le monde matériel, et ce merveilleux mécanisme, ce magnifique, devrait être maintenu dans les meilleures condition, car tout ce qui lui nuit, nuit à l’expression de l’âme.
Le système d’éducation qui règne actuellement nous apprend tout, excepté ce qui nous serait le plus nécessaire : l’art de vivre.
Les écoles et les collèges nous enseignent une quantité de choses qui ne nous serviront jamais directement dans la vie pratique, mais ils effleurent à peine l’étude de notre merveilleux organisme humain, et plus d’un gradué d’université peut à peine décrire la situation et les fonctions des organes vitaux dont dépendent notre vie et notre bien-être.
Très fort en langues anciennes, en histoire, en philosophie, en sociologie, il sait très peu de choses sur ce qui lui est cependant plus important à connaître que toutes les sciences du monde, son propre organisme et la manière de le traiter.
L’art de vivre est plus important que toute autre chose, et cependant l’homme traverse la vie ignorant de la structure de son corps, qui est bien plus délicat et réclame des soins bien plus attentifs que la plus délicate des machines.
Que penseriez-vous d’un homme qui achèterait la meilleure et la plus compliquée des automobiles du monde, et qui la confierait à un individu n’ayant aucune notion de sa construction, afin qu’il lui serve de chauffeur dans un grand voyage qu’il entreprendrait avec toute sa famille ?
Pour qu’un chauffeur devienne expérimenté, il faut qu’il apprenne à démonter l’automobile, à en connaître toutes les parties et leur fonctionnement, car de précieuses vies dépendront de son savoir, de son habileté et de son expérience.
Mais que connaissent la majorité des gens de cette merveilleuse machine humaine, si admirablement ajustée, que chacune des innombrables cellules qui la composent est modifiée par chaque pensée ou chaque mouvement de l’esprit ?
Un professionnel de la vie ne compromettrait pas le fonctionnement journalier de la machine humaine, comme la plupart d’entre nous le font, en mangeant trop ou pas assez, ou en n’ayant pas de régularité dans sa manière de vivre. Il ne voudrait pas se rendre malade pendant des jours en maltraitant les délicates cellules nerveuses de son cerveau, en se livrant à la colère, à la haine, à la jalousie, à la crainte ou au souci. Il protégerait, au contraire, cet organisme sensible et délicat contre la multitude de ses ennemis physiques ou mentaux.
Quel dommage que la plupart des humains ne connaissent pas la science qui leur apprendrait à faire mouvoir la machine humaine avec le moins de frottements possible, le secret de faire concourir 1 environnement à son bien, de transformer en matériaux de vie toutes les circonstances de l’existence, tout comme Michel-Ange faisait concourir toutes ses expériences à la réalisation de ses chefs-d’œuvre.
La meilleure des locomotives est capable de transformer en force impulsive environ le 20 % de l’énergie contenue dans le charbon qui la chauffe, tandis que la machine humaine, dans son meilleur état, n’est pas encore capable de transformer en force impulsive le plus faible pourcentage de l’énergie ou de l’intelligence humaines.
Sous une direction scientifique, la machine humaine deviendrait capable de produire des forces merveilleuses, de l’harmonie, un perpétuel bonheur-
Mais qui a jamais entendu parler d’un maître expert dans l’art de vivre ? Nous, maltraitons si bien notre organisme, qu’il est, la plupart du temps, incapable de produire le minimum de ce qu’il pourrait donner. Bien des hommes, passés maîtres dans le gouvernement de leurs affaires, font de leur vie un véritable fiasco.
Combien peu de personnes sont véritablement heureuses ! Cependant, chaque être humain essaye d’atteindre le bonheur après lequel il soupire, mais il ne réussit qu’à produire le désaccord au lieu de l’harmonie, parce que son organisme est détraqué, et qu’il ne sait comment rétablir l’ordre, ou parce qu’il ne veut pas payer le prix que réclame l’effort scientifique, persévérant, qui le rendrait expert dans l’art de diriger la machine humaine.
Que de peines nous endurons, quelles humiliations, quels embarras, simplement parce que les rouages de notre machine ne sont pas ajustés scientifiquement !
Pensez à la somme de souffrances que nous promurent nos nerfs fatigués, dont nous avons abusé, et qui empêchent notre organisme de fonctionner sans frottements, détruisant ainsi l’harmonie de notre être. Nous n’avions pas l’intention de faire de la peine à ceux que nous aimons en étant irritables, impatients ; nous ne voulions pas détruire la paix de notre foyer par notre humeur désagréable.
Nous ne désirions pas insulter nos employés, comme nous l’avons fait dans notre irritation, mais tout ceci est arrivé parce que notre machine n’était pas en ordre. Les cellules du cerveau et des nerfs étaient empoisonnées par la fatigue, par les débris résultant de la fatigue du jour précédent. Notre délicat système nerveux a produit la discorde, alors qu’il est fait pour produire l’harmonie, simplement parce qu’il ne pouvait fonctionner doucement, n’ayant pas été rafraîchi et renouvelé par une bonne nuit de repos.
L’inquiétude, le souci, une nourriture trop copieuse, l’abus des stimulants, la dissipation, la violation de quelque loi naturelle, sont les auteurs responsables de tout ceci.
Il n’y a rien de plus humiliant, pour un homme, que de perdre ainsi tout contrôle sur lui-même, de constater que sa machine s’emballe et cause toutes espèces de dommages, sans que lui, le chauffeur, puisse l’arrêter.
Une des choses les plus humiliantes est le triste spectacle qu’offre celui qui, par la colère, a perdu tout empire sur lui-même.
Lorsqu’il ne peut plus commander à son cerveau, il révèle la brute qui est en lui ; il expose à tous les regards les vilains traits de son caractère, ceux qu’il cache soigneusement à ses amis. Tout vient à la lumière, et s’offre à la critique de ceux dont il recherche l’estime.
Vous qui dites que vous ne pouvez maîtriser votre tempérament, que l’explosion se produit avant que vous ayez eu le tempe d’y penser, avez-vous jamais réfléchi que votre cerveau n’est pas vous, qu’il est absolument sous votre contrôle, que la grande machine humaine est Soumise à l’esprit, que vous pouvez surveiller chacune de vos pensées, et rester maître de chacune de vos émotions par une éducation appropriée, de telle sorte que votre machine ne s’emballe jamais ? Vous êtes l’être qui dirige le cerveau.
Avez-vous jamais réfléchi que, devant certaines personnes, vous n’oseriez pas vous mettre en colère, quelque grande que soit la provocation ?
Tout homme connaît quelque femme ou a quelque ami devant lesquels il ne voudrait pour rien au monde perdre la maîtrise de lui-même. Et ce même homme ne se gênera pas de se fâcher devant un employé qu’il considère comme un rouage, et auquel il ne se sent pas astreint de témoigner du respect ou de la considération. Ceci ne prouve-t-il pas que nous pouvons nous maîtriser beaucoup plus que nous ne le croyons possible ? Les personnes les plus colériques ne montrent aucune impatience, quelque envie qu’elles en aient, lorsqu’elles assistent à une réception ou à un dîner. Elles n’en auraient pas même l’idée.
Si nous respections, comme nous le devrions, tous ceux avec qui nous vivons, même les êtres les plus humbles, nous n’aurions plus aucune peine à nous dominer.
La majorité des gens gardent dans leur esprit et dans leur cœur des rancunes, des antipathies, des jalousies qui, pour n’être pas toujours manifestées extérieurement, n’en empoisonnent pas moins leur vie intérieure.
Pensez à la révolution qui s’accomplirait dans nos vies, si seulement nous prenions garde au son de notre voix !
Vous pouvez dire à un chien des mots agréables avec un ton qui l’effrayera ou le rendra malheureux pendant des heures. D’autre part, vous pouvez lui dire des injures d’une voix douce qui lui fera remuer la queue en signe de contentement.
Notre langage et nos manières font le bonheur ou le malheur de ceux qui nous entourent. Jetez un os à un chien, il s’en emparera et se sauvera en l’emportant, la queue entre les jambes, sans manifester la moindre gratitude ; mais appelez-le gentiment et laissez-lui prendre l’os dans votre main, en lui parlant d’une voix douce, et il vous manifestera de la reconnaissance.
Bien des frottements, dans la vie, sont dus à notre ton. Notre voix exprime nos sentiments, notre attitude envers les autres.
Une voix discordante est fatigante. Le simple fait de baisser la voix lorsque vous sentez que la colère fait courir le sang dans vos veines, calmera votre emportement. Nous savons comment des enfants colériques peuvent arriver à un état de rage indescriptible en se mettant à crier quand tout ne va pas comme ils l’entendent. Plus ils crient, plus ils s’excitent, jusqu’à ce qu’ils provoquent parfois une violente crise de nerfs. Leur ton fâché excite leur colère, tandis que s’ils adoucissaient leur voix, leur emportement cesserait.
Que de malheurs pourraient être évités au foyer, si tous les membres de la famille pouvaient prendre la résolution de ne jamais élever la voix, si les maris, enclins à trouver leur femme en faute, savaient retrouver la douce voix avec laquelle ils lui parlaient lorsqu’ils désiraient obtenir sa main, s’ils adoptaient, une fois mariés, les mêmes procédés dont ils usaient pendant le temps de leurs fiançailles !
Le ton sarcastique, tranchant, hargneux, discordant de la voix est, dans une grande mesure, responsable du malheur, non seulement au foyer, mais aussi dans le monde des affaires et dans la société en général.
Les natures faibles, qui s’impatientent et se laissent désarçonner par des choses sans importance, montrent qu’elles sont incapables de dominer la situation et de maintenir l’harmonie. Leurs manières irritées indiquent qu’elles manquent d’harmonie intérieure, et ne peuvent par conséquent pas être en harmonie avec leur entourage ; elles sont les victimes de leur humeur ; elles en souffrent, et font souffrir les autres. Les personnes qui perdent facilement leur égalité
d’humeur, qui se mettent en colère à la moindre provocation, ne se rendent pas compte qu’en agissant ainsi, elles influent d’une façon néfaste sur la délicate structure de leur cerveau, et qu’elles devienront incapables de se maîtriser, qu’elles perdront tout empire sur elles-mêmes, au point de faire explosion automatiquement.
B n’y a pas de spectacle plus humiliant que l’exhibition des sentiments vils, méprisables et brutaux d’un homme en colère. Dans un semblable moment, la Raison est enchaînée, la Sagesse cache sa tête, honteuse, le Bon Sens et le Jugement descendent du trône, la bête s’installe à leur place, et l’Anarchie règne dans le royaume mental.
Lorsque vous vous êtes ainsi livré à la colère, vous sentez que quelque chose de précieux a été détruit dans votre vie. Votre propre estime, votre dignité ressortent amoindris de la conflagration
On plaça un jour, devant un enfant livré à un accès de rage, un miroir .dans lequel il vit son visage ; il fut si honteux et si peiné du spectacle qui lui était offert, qu’il cessa de crier. Si les adultes pouvaient aussi se voir lorsque la colère les emporte, s’ils pouvaient constater les ravages qui se font à l’intérieur de leur cerveau et dans leur système nerveux, s’ils se rendaient compte de l’expression de leurs yeux, ils ne pourraient pas supporter cette vue.
La conscience de votre responsabilité dans la direction de votre corps peut vous aider puissamment à vous maîtriser.
Nul ne peut être vraiment heureux avant d’être maître de son humeur, avant d’avoir appris à gouverner sa machine, à l’entretenir, mentalement et physiquement, dans de bonnes conditions. Tout dépend de cela.
Sans doute, une machine compliquée peut faire des choses remarquables, même lorsqu’elle n’est pas tenue en parfait état ; mais cette même machine ferait des merveilles et durerait bien plus longtemps, si elle était bien soignée et bien entretenue.
Une montre ne prouve pas sa bienfacture par un excellent balancier ou par un bon ressort. Sa perfection ne dépend pas de l’une quelconque de ses parties, mais elle est le résultat de l’accord parfait qui règne entre toutes, de l’ajustement et des rapports exacts établis entre ses roues, leurs supporte, les ressorts, etc. Une montre qui serait parfaite, à l’exception d’une de ses plus petites roues, ne servirait à rien, et tout l’ouvrage du fabricant serait annulé. Non seulement, chacune de ses parties doit être parfaitement établie, mais toutes ensemble doivent former un tout parfait.
La santé est au corps ce que la bienfacture est à la montre. Elle consiste dans l’harmonieuse relation entre toutes les parties du corps ; la plus légère Imperfection, dans n’importe quel organe, jette le trouble dans tout l’organisme. Des poumons bien développés, des muscles solides, un foie en bon état, ne constituent pas nécessairement la santé. Une santé parfaite est le résultat de l’harmonie entre tous les organes du corps.
De même, la santé morale résulte de l’harmonie entre toutes les facultés morales. La force et le bonheur proviennent du développement harmonieux et symétrique de la machine humaine, ainsi que de la maîtrise exercée sur elle.
